Des œuvres en résonance

Hervé Bréhier / Christophe Clottes
avril 2024

Né d’un attrait commun pour le sonore, le duo que Christophe Clottes et Hervé Bréhier forment de temps en temps est un espace de dialogue entre deux univers artistiques bien distincts. Depuis Pau et Clermont-Ferrand où ils résident, ils racontent comment ils cherchent, cheminent et résonnent ensemble, une performance après l'autre.

Quel a été le déclencheur de votre collaboration ?

Christophe Clottes : Peut-être que les déclencheurs ont été multiples et sûrement pas circonscrits dans le champ artistique. Il me semble qu’il y avait depuis longtemps une envie de faire quelque chose ensemble, sans que ce soit réellement formulé et sans vraiment savoir comment ; le sentiment que nous pouvions partager une part de notre travail, sans l'avoir identifiée.
C’est le son qui nous a donné l’espace pour tenter une collaboration. Cela à un moment où, chacun de notre côté, nous faisions une plus grande place à la dimension sonore dans notre pratique.

Hervé Bréhier : J’ai d'abord découvert la pièce Mouvement lithique de Christophe et j'ai eu envie d’organiser une rencontre avec une de mes pièces, Sans titre (va-et-vient #2). À l'évidence, elles pouvaient physiquement résonner ensemble, malgré des mises en espaces et des gestuelles très différentes. On a expérimenté à plusieurs reprises, d’abord à Pau, chez Christophe, puis chez moi, à Clermont-Ferrand.

Image extraite du film Christophe Clottes, réalisé par Denis Cointe en 2022
Photo : © Denis Cointe
Hervé Brehier, Sans titre (va-et-vient résonnante), 2022
Bouteille de gaz, fil de fer, barre à mine, dimensions variables
Vue de l'exposition Mind the gap, Vidéochroniques, Marseille
Photo : © Hervé Bréhier

C.C : Et puis, il y a eu une occasion. Hervé m’a fait la proposition de partager un temps de performance pour la présentation de sa pièce Sans titre (va-et-vient résonnante) à cONcErn (Cosne-d’Allier) puis à Lyon, à La BF15.

H.B : S’est écrit un dialogue à travers nos gestes. L’écho et les ondes qui se déploient dans l’espace sont le terrain commun que nous partageons, ils prolongent les volumes pour étendre la sculpture à un niveau plus abstrait. Déclencher cette collaboration a joué un rôle important pour sortir le travail de l’atelier et l’amener à résonner avec un autre.

Performance dans le cadre de l'exposition Point d'affleurement d'Hervé Bréhier à La BF15, Lyon, mars 2023
Capture d'écran de la captation vidéo réalisée par Maxime Naudet

Qu'est-ce qui vous intéresse dans la pratique de l'autre ?

H.B : Christophe porte une attention sur les éléments qu'il m'est difficile de verbaliser mais qui me touche beaucoup. Dans l’infime irrégularité des surfaces qu’il touche et dans les formes dont il se fait le relais, il renvoie au temps long où l’élément s’est arraché, s’est délocalisé pour finalement générer un son, l’étendre et, dans tous les cas, l’augmenter. Il s’agit d’une plasticité qui est là sans artifice, une nécessité de comprendre l’état dans lequel se trouve cette forme d’origine naturelle.
Je partage cette même posture dans mon rapport aux matériaux, dans leurs charges physique, politique, émotionnelle.
Le regard sur un « je-ne-sais-quoi », ce détail qui vient de loin et se prolonge à travers le geste plastique que l’on met en place. 

C.C : La clarté du travail d'Hervé et sa sincérité, le rapport simple et direct au geste et à la matière, l’attention aux formes existantes et à l’épaisseur du temps. Et puis, il y a dans sa pratique une forme de rapport à la tension, et à son potentiel d’ouverture, qui me touche particulièrement.

De quelle façon votre collaboration a-t-elle évolué avec le temps et les projets ?

C.C : Pour notre première performance, l’idée était de faire se rencontrer deux pièces sonores déjà existantes, de les faire jouer ensemble pour voir (ou entendre) ce qu’il pouvait se passer. Bien sûr, c’est un dialogue qui s’est amorcé. L’une comme l’autre, ces pièces portent une intention de résonance et c’est leur complémentarité qui s’est révélée. Une forme d’ouverture à un territoire plus vaste s’est produite et, avec elle, la plus grande amplitude de chaque pièce.
Ce constat a sûrement rejoint des questions présentes dans nos pratiques respectives, celle d’un potentiel de mutation dans l’intrication geste/outil, jeu/dispositif...
Depuis, nous avons renouvelé l’expérience avec des pièces récentes et pas forcément considérées comme abouties. Peut-être pour avoir plus de souplesse ou de latitude dans l’expérimentation, mais aussi pour les pousser plus loin.

H.B : Aujourd’hui, nous affinons une écriture sonore qui peut basculer selon le lieu où nous performons.
Ce qui est sûr, c’est qu’avec le temps, nous démultiplions les hypothèses – qu’il s’agisse d’un arrangement de séquences, d’une succession d’amorces qui construisent un temps de résonance ou d’un geste répétitif qui vient reposer une ponctuation dans l’enchaînement. C’est aussi là notre recherche. 

Performance dans le cadre de l'exposition Point d'affleurement d'Hervé Bréhier à La BF15, Lyon, mars 2023
Captation vidéo réalisée par Maxime Naudet

Quel est votre rapport respectif au son et à la performance ?

H.B : Je m'intéresse d'abord à la résonance d'un son en lien avec un volume ou produit par ce volume.
Cette résonance est induite par la vibration sonore. Le son prend alors l'espace et forme un volume non visuel.

C.C : Le son est d’abord un phénomène vibratoire qui existe dans le temps. Il traverse les espaces et les corps, en même temps qu’il en émane. À ce titre, je peux le prendre comme une composante, une résultante, ou comme une forme mouvante. Il est, en tout cas, lié à une interaction, une réciprocité.
En ce qui concerne la performance, le lien avec le son s’est présenté comme un fait. C’est la production de sons comme faisant partie d’un geste plastique qui m’a permis d’assumer ce terme de performance dans ma pratique.

Christophe Clottes, Bruits, chutes, 2023
Acier, acier forgé, bois, scorie, système d’amplification sonore amovible
Œuvres réalisées avec les élèves Benjamin Bonnepart, Guillian Cathelin, Louis Coindeau, Nicolas Hibon, Jessy Jacques, Nell Larive, Oriac Le Breton, Rémi Lescoute, Félicien Pourroy, Aurélien René-Hubert, Allan Testard et l’enseignant Armel Mazière. Production : Lycée Le Mont-Châtelet (Varzy) et 47-2
Photo : © Christophe Clottes


Ce n’est pas en dehors de nos pratiques mais bien au bord.
Le fait que ce soit collectif ne construit pas forcément un « ailleurs ».
 

Hervé Bréhier


Comment situez-vous vos projets en commun par rapport à vos pratiques personnelles ?

C.C : Il me semble que cette collaboration est d’abord un partage. Pour revenir à la première question, celle des déclencheurs, on pourrait faire un parallèle avec la marche. Pour partir marcher, chacun amène son petit sac à dos, on passe un temps ensemble, on fait un bout de chemin, on partage ce qu’il y a dans les sacs et, au retour, chacun revient avec son sac plus léger et l’expérience d’un espace commun.

H.B : Cela prend sa place tout naturellement, sans avoir vraiment à les situer dans le travail de l'un ou de l'autre. Ce n’est pas en dehors de nos pratiques mais bien au bord. Le fait que ce soit collectif ne construit pas forcément un « ailleurs ». C’est peut-être pour moi davantage le fait de se confronter, à travers le travail de Christophe, au paysage au sens large. Là, j’y trouve un nouvel espace dans lequel, seul, je ne m’étais pas encore aventuré.

Ce travail en duo a-t-il eu un impact sur vos pratiques personnelles ?

H.B : Oui certainement. D’abord parce qu’il a été nécessaire de regarder mes pièces par un autre prisme, pour les mettre en relation avec celles de Christophe. Cela me fait réagir autrement devant un objet dont le potentiel sculptural n’est plus seulement identifié comme celui du mouvement, de la découpe ou de la déconstruction. Je peux trouver une qualité sculpturale à un objet simplement en l’imaginant résonner. Cette dimension était sans doute moins présente avant notre collaboration.

C.C : Sûrement, sans avoir le recul nécessaire pour déterminer exactement lequel.

Captation de la performance aux Ateliers des Arques, 13 octobre 2023
Dans le cadre du vernissage de l'exposition Entendre les images
Activation des pièces Bruits, chutes de Christophe Clottes et Sans titre (escalier à l’horizontal) d'Hervé Bréhier
Prise de vue et montage : © Nelly Girardeau
Hervé Bréhier, Sans titre (escalier à l’horizontal), sculpture en mouvement et sonore, 2023
Escalier en colimaçon, bois, micro, ampli, 85 x 235 x 65 cm. Photo : © Hervé Bréhier

Quels sont les prochains projets, ou envies de projets, en duo ?

H.B : Nous avons réalisé une nouvelle performance sonore aux ateliers des Arques que nous avons envie de développer. Le désir de travailler ensemble génère de nouvelles formes. Nous ne travaillons pas forcément avec des sculptures préexistantes, ce qui, je pense, va décupler encore les possibilités et agencer de nouvelles situations.

C.C : Pour filer la métaphore de la marche, je dirais que nous les découvrons en cheminant.