Entretien

Marie-Frédérique Hallin, 2019

Peux-tu nous dire quelques mots sur ton parcours artistique après tes études à l’École des beaux-arts de Bordeaux et ton engouement pour le cinéma plus d’ailleurs que la vidéo ?

C’est le cinéma qui m’a toujours donné le désir de réaliser les films.
Cependant je viens du théâtre. Je voulais devenir metteur en scène. Puis j’ai découvert la vidéo aux Beaux-Arts et un champ des possibles s’est ouvert à moi : enfin l’extérieur pouvait prendre place dans mon travail : les paysages naturels, les forêts, l’eau, les grands espaces, les éléments… et puis la découverte du montage : on peut raconter tellement d’histoires avec les mêmes images… Je crée des scènes qui s’apparentent à des tableaux en mouvement. C’est le cadrage, la lumière et la manière de mettre en scène qui me rapproche du cinéma. J’apporte aussi beaucoup d’attention au son – aussi important que l’image dans mes films.
À la sortie des beaux-arts, j’ai voulu confronter ma manière de créer en allant rencontrer des réalisateurs qui m’inspirent. J’ai donc travaillé pendant plusieurs mois en Suède avec Roy Andersson sur son long-métrage « Un pigeon perché sur un branche réfléchit à l’existence », puis avec Werner Herzog en participant à sa Rogue film School à New-York. En parallèle, j’ai réalisé deux long-métrages autoproduits. J’avais besoin de me confronter à la réalisation de projets d’envergures, comprendre mon univers artistique et ma manière de travailler.  

Cette édition 2019 du festival s’intéresse à la manière dont les artistes créent à partir d’un territoire, vont agir dans un territoire spécifique, le questionner, se l’approprier. Les résidences parsèment ton parcours d’artistes. L’intérêt des résidences longues dans ton travail ?

En 2012, j’ai réalisé ma première résidence d’artiste « Le château » sur l’île de Vassivière avec le Centre International d’Art et du Paysage de Vassivière pour la réalisation du film « Hot-Dog ». J’ai compris alors que les résidences d’artistes étaient la bonne manière pour moi de réaliser des films car j’avais enfin un territoire à découvrir et à appréhender, des paysages pour m’inspirer, des habitants à rencontrer et à faire intervenir dans mon processus de création et une institution qui me soutient dans la fabrication du projet grâce à une bourse et son aide à la production et à la diffusion.
Les résidences me permettent de me confronter à l’inconnu. Je choisis des résidences qui questionnent mon rapport à la création, à ma façon de fabriquer, de mettre en scène, de penser un nouveau projet, ainsi que les sujets abordés. Je tente de me mettre dans l’inconfort pour susciter la création et me laisser surprendre par le résultat.

Comment travailles-tu avec ces « territoires » souvent naturels à partir desquels tu images tes films ? Si tu devais résumer ton rapport à la nature ?

Nous faisons partie du paysage. Ce qui s’offre à nous, c’est notre présence dans le paysage, notre présence au monde que nous découvrons. Pour François Jullien, dans chaque paysage, il y a le tremblement de tous les paysages perdus, anciens, les paysages de la mémoire qui remontent en nous et qui ébauchent en nous la figuration des paysages à venir.
Filmer en extérieur, dans des décors naturels des scènes que nous pouvons voir dans notre quotidien me permet d’isoler une action en la sortant de son contexte afin de la mettre en lumière et lui donner une autre lecture, une autre façon d’exister. C’est en quelque sorte une manière de lui donner un second souffle. Des choses ou même des personnes qui nous paraissent insignifiantes ont une autre place dans mes films. Elles ont leur place. Je ne souhaite pas une empreinte trop forte de l’humain dans mon travail. Il faut épurer l’action en l’isolant du reste du monde – dans des paysages naturels. Je me sens l’âme d’une cinéaste arpenteuse, exploratrice de paysages. Plus que la nature, c’est le paysage qui m’intéresse et aussi tout ce qui ne se voit pas dans le hors champ.

Un territoire, c’est pour moi un endroit fait de rites, de chants, d’habitants, d’histoires, de paysages, d’un climat particulier, d’anecdotes, de rencontres, de désirs parfois et de rêves. C’est cela qui m’intéresse quand je découvre un endroit. J’y passe du temps, je l’explore et ensuite suivant la manière dont j’ai décidé d’aborder la création du projet, j’écris ce que me « raconte » cet endroit et je commence à composer avec les paysages et les habitants.  

Peux-tu nous parler des films présentés ici à Lectoure « Hot Dog » et « Les cowboys », du contexte de leur création, des participants, de la manière d’intégrer les habitants à tes projets, du cadre de tournage ? Quelle place ont ces films dans ton parcours d’artiste ?

L’un des films est une création libre, l’autre une commande – avec une carte blanche dans sa création.

Pour « Les cowboys », je n’ai pas choisi de filmer des personnes en situation de handicaps mais j’ai accepté de le faire car je savais qu’on me donnait toute la liberté nécessaire pour créer. Donc à partir de cela, je place les deux films au même niveau car mon exigence artistique est la même.

« Hot-Dog » fut un film éprouvant et magique à réaliser par son caractère ambitieux. _ Les conditions climatiques étaient rudes et le travail était intense car il fallait filmer beaucoup de scènes en un temps record. C’était aussi mon premier grand projet avec une équipe et des moyens importants. Dans ce film, j’ai fait participer et jouer bon nombres des comédiens professionnels qui me suivent depuis presque 15 ans, des habitants rencontrés autour de l’île de Vassivière, ainsi que Istvan Borbas : le chef opérateur de Roy Andersson, un finlandais fou, des animaux vivants ou d’autres faux ou naturalisés, des chanteurs, des musiciens, un orchestre,… J’ai écrit le film en fonction du lieu, de ce qu’il me donnait à voir et à entendre. J’ai ensuite composé les scènes en fonction. Je voulais réaliser une grande explosion bruyante et absurde sur cette île silencieuse. Je pense que j’ai réussi !

« Les cowboys » fut une surprise, une douceur, une découverte de personnalités incroyables. Il fallait créer sur le vif, rien n’était écrit, ni prédestiné. « Les cowboys » a pour origine le cadre du programme « Ecriture de lumière » et un partenariat avec le Centre d’hébergement et de vie sociale de l’AGENAIS. Lorsque l’association Pollen, artistes en résidence m’a proposé de réaliser un film avec des personnes handicapées adultes du centre de l’Agenais, j’ai accepté, ayant envie de sortir du cadre de l’institution et de contourner le sujet sur le handicap. Je voulais qu’on ne voit pas des « handicapés » à l’écran mais des personnages. Lorsque j’ai rencontré pour la première fois les participants du film, je les ai tout de suite imaginé habillé en cowboy … Le costume permet de donner une autre image de soi, de sortir du quotidien, d’amener du jeu et d’entrer dans une autre réalité. Chaque protagoniste pouvait en quelque sorte sortir de lui-même et chacun était transformé, grâce au costume, dans leur démarche, leurs gestes, leurs propos.

Et puis, j’ai demandé à ce que le groupe et l’équipe puissent vivre immergés pendant une semaine dans un lieu clos. Nous avons trouvé un magnifique poney-club juste à côté du CHVS (pour des questions de santé) et nous avons pu passer 6 jours habillés en cowboys du matin au soir plongés dans ce sublime décor rustique ! Voilà le point de départ du film : des costumes, un décor et quelques accessoires.
Ensuite, chaque scène a été pensée au moment du tournage suivant les possibilités de chacun. Les rôles se sont composés au fur et à mesure, suivant ce que chacun proposait par rapport à la mise en scène. J’ai donc pensé ce film en fonction des personnes avec lesquelles je travaillais, que je filmais, contrairement à « Hot-Dog ».
Aussi, un rôle primordial dans le film est le personnage du shérif qui est joué par un acteur professionnel (Jérôme Baëlen). Sa présence a permis de mettre en confiance le groupe sur le plateau et de le dynamiser. De plus, il est devenu le « souffleur » pour le texte (ce qui n’était pas prévu). Ce qui a donné un tout autre sens au texte dit…
L’imprévu suscite parfois du merveilleux.

 

Entretien réalisé dans le cadre de L’Été photographique de Lectoure, du 20 juillet au 22 septembre 2019.

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